Vous souhaitez vous lancer dans l’apprentissage du Blues à la guitare, ou voulez passer à la vitesse supérieure dans ce style incontournable ? Vous êtes sur le bon article : la compréhension et la mise en pratique des grilles Blues sont le b.a.-ba de ce style, la base sur laquelle tout est construit.
La grille, c’est-à-dire la façon dont s’enchaînent les accords, est très codifiée en Blues. C’est une des composantes essentielles du son de ce style, au même titre que les accords 7e ou les vibratos.
La grille de base, qu’on appelle donc « grille Blues », a évolué au fil du temps et se décline en plusieurs variantes courantes : grilles de 12 ou 16 mesures, grille Rock’n’Roll, grille Blues-Jazz, grille mineure ou majeure, en différentes tonalités… Autant de possibilités de vous exprimer en guitare Blues !
Mais avant de rentrer dans le vif du sujet et de voir les principales grilles Blues à la guitare, penchons-nous rapidement sur les fondements de la grille de base : les degrés et les questions/réponses.
Bref rappel théorique des degrés
Impossible de parler de grille Blues à la guitare, ni d’aucune structure harmonique d’ailleurs, sans comprendre ce qu’est un degré. Si vous êtes à l’aise avec ce terme, passez directement à la partie suivante, sinon voici un petit rappel de sa définition.
Les degrés, dans le sens où on va utiliser ce mot aujourd’hui, sont les accords construits à partir de chacune des notes d’une gamme. La gamme majeure, par exemple, contient sept notes. On peut donc construire sept accords dessus, qui seront ses sept degrés.
Je ne m’attarderai pas ici sur la façon de savoir si chacun de ses accords est majeur ou mineur, car c’est le sujet d’une autre leçon dédiée à ce principe, qu’on appelle l’harmonisation des gammes. Pas besoin de se prendre le chou avec ça en Blues, puisque dans ce style nous allons utiliser presque exclusivement des accords 7e de dominante et leurs dérivés (9e, 13e, etc.).
Dans un contexte Blues, voici donc à quoi ressembleraient les 7 degrés de la gamme majeure de Do :
Degré | I | II | III | IV | V | VI | VII |
Accord | Do 7 | Ré 7 | Mi 7 | Fa 7 | Sol 7 | La 7 | Si 7 |
Et le plus beau dans tout cela, c’est qu’on ne va utiliser que les degrés I, IV et V pour construire une grille Blues de base. Vous voyez, c’est plutôt simple !
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Qu’est-ce qu’une grille d’accords ?
Revenons rapidement à cette notion de « grille ». De quoi s’agit-il concrètement ? C’est la structure harmonique d’un morceau, autrement dit la façon dont les accords s’enchaînent entre eux sur un nombre défini de mesures.
Or, contrairement à la majorité des genres musicaux, le Blues impose une base de structure harmonique, qui est plus ou moins toujours construite de la même façon. Bien sûr, il existe des variantes, mais qui s’écartent finalement assez peu de la structure de base.
C’est le paradoxe du Blues : d’un côté, il s’agit d’un style très libre, qui s’affranchit de la plupart des codes imposés par la théorie musicale occidentale et fait la part belle à l’improvisation. Mais de l’autre, il est très codifié par sa grille, ses sonorités basées sur les accords 7e et la quinte diminuée, et son utilisation constante des questions/réponses.
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L’essence de la grille Blues : les questions/réponses
Il me semble toujours pertinent de comprendre l’origine d’un concept afin de pouvoir mieux l’appliquer. Je suis persuadé, par exemple, qu’on joue mieux Rock à la guitare si on a étudié un minimum le Blues et la Soul, qui sont les styles d’où sont issus les premiers rockeurs.
Oui, mais bon, si « toute la musique que j’aime, elle vient de là, elle vient du Blues », d’où vient-il, lui, le Blues ?!
Eh bien, du Negro Spiritual, bien que ce genre n’avait pas de nom spécifique à son origine. Il s’agit de la musique chantée par les esclaves noirs des États-Unis aux XVIIIe et XIXe siècles, notamment dans les champs de coton et de canne à sucre des États du sud (Mississippi, Louisiane, etc.).
Par extension, on retrouve ces champs également dans les pénitenciers de travaux forcés du XIXe siècle, essentiellement occupés par des descendants d’esclaves. Les enregistrements d’Alan Lomax font partie des rares traces d’époque encore écoutables aujourd’hui ; le lien musical avec le Blues est très clair, comme vous pouvez le constater.
Ce qui ressort le plus de ce type de chant en groupe, c’est le principe des questions/réponses. Un ou plusieurs chanteurs commencent une phrase, et les autres la finissent ou y répondent, créant un effet hypnotique et lancinant qui (c’est triste à dire) accompagnait parfaitement les tâches pénibles et répétitives qu’ils accomplissaient à longueur de journée.
Ce système de questions/réponses a été transmis au Blues, et est le fondement même de sa structure harmonique. Ce principe central est trop souvent ignoré par les apprentis Bluesmen, or c’est lui qui donne tout son sens à la grille Blues et à la façon d’improviser dessus.
La grille Blues de base en 12 mesures
Assez blablaté, voyons à quoi ressemble cette fameuse grille Blues de base !
Elle est composée de 12 mesures, d’où son nom de « Twelve bar Blues » chez les anglo-saxons, et de trois accords :
- Le degré I
- Le degré IV
- Le degré V
Voici comment ces derniers doivent s’enchaîner (une case correspond à une mesure) :
I | I | I | I |
IV | IV | I | I |
V | IV | I | I |
Vous pouvez associer chaque ligne de ce tableau à une phrase chantée ou jouée, que vous pouvez elle-même couper en deux sous-phrases, une question suivie d’une réponse :
QUESTION | RÉPONSE | |||
I | I | I | I | |
IV | IV | I | I | |
V | IV | I | I |
Comme vous le voyez, chaque nouvelle question est « posée » plus aiguë que la précédente, ce qui amplifie l’intensité émotionnelle et musicale. Les réponses, quant à elles, sont toujours données sur le premier degré, ce qui apporte une stabilité harmonique et une sensation de conclusion.
Les variantes de grilles Blues
Comme je l’ai déjà évoqué, la grille Blues de base a évolué au fil du temps, des morceaux et des différents styles. Pour plus de clarté, j’ai découpé les principales variantes en plusieurs sous-parties (nombre de mesures, ordre des degrés, sous-genres de Blues, etc.), mais certaines grilles mixent différents changements ou peuvent amener à des sous-variantes.
Changement du nombre de mesures
Grille Blues en 12 mesures
La grille Blues de base est en 12 mesures, mais elle est rarement utilisée dans sa forme initiale. En général, on remplace le degré I de la dernière mesure par le degré V. Cela permet de relancer sur le début de la grille.
En effet, un morceau entier répète plusieurs fois la grille, et jouer l’accord V permet d’appeler l’accord I. On appelle cet effet harmonique la cadence parfaite (degré V => degré I).
Voici ce que cela donne :
I | I | I | I |
IV | IV | I | I |
V | IV | I | V |
Pour illustrer tout cela de façon plus concrète, je vais vous montrer l’ensemble des grilles en tonalité de La, avec les accords 7e typiques du Blues. Bien sûr, vous pouvez les transposer dans toutes les tonalités. Voici ce que cela donnerait pour cette première variante :
La 7 | La 7 | La 7 | La 7 |
Ré 7 | Ré 7 | La 7 | La 7 |
Mi 7 | Ré 7 | La 7 | Mi 7 |
Pour vous mettre cette grille bien clairement dans l’oreille, voici une version acoustique toute en douceur du standard Rock me baby, interprété par Eric Clapton (prêtez bien attention à la contrebasse pour entendre les changements de degrés.).
Grille Blues en 16 mesures
Bien que la grille en 12 mesures soit la plus courante, on trouve fréquemment des grilles en 16 mesures. C’est le cas par exemple de standards Blues très connus, comme Watermelon Man de Herbie Hancock.
I | I | I | I |
IV | IV | I | I |
V | IV | V | IV |
V | IV | I | I |
La 7 | La 7 | La 7 | La 7 |
Ré 7 | Ré 7 | La 7 | La 7 |
Mi 7 | Ré 7 | Mi 7 | Ré 7 |
Mi 7 | Ré 7 | La 7 | La 7 |
Voici une petite variante bonus de la grille Blues à 16 mesures :
I | I | I | I |
IV | IV | I | I |
V | V | IV | IV |
V | IV | I | I |
Grille Blues en 8 mesures
Le Blues peut également se jouer en 8 mesures. Cela donne un côté plus expéditif à la grille, avec des questions/réponses plus courtes mais plus fréquemment répétées.
Le Blues en 8 mesures se retrouve principalement dans les morceaux old-school, généralement joués solo par un chanteur-guitariste, comme on le voit souvent en Delta Blues.
I | V | IV | IV |
I | V | I – IV | I – V |
La 7 | Mi 7 | Ré 7 | Ré 7 |
La 7 | Mi 7 | La 7 – Ré 7 | La 7 – Mi 7 |
Vous pouvez voir qu’il arrive d’enchaîner parfois deux accords dans une même mesure, pour dynamiser le turnaround (la relance vers le début de la grille).
Un exemple assez connu de standard Blues en 8 mesures est la chanson Key to the Highway, dont voici une interprétation de Big Bill Broonzy.
Changement de l’enchaînement des degrés
Grille Slow Change
Je ne m’attarderai pas sur le Slow Change, puisqu’il s’agit tout simplement de la grille Blues standard que je vous ai déjà présentée. Je vous l’indique ici pour que vous ne soyez pas surpris si quelqu’un vous lance un jour au cours d’une jam « Slow Change en Mi, et 1, 2, 3, 4 ! »
Grille Quick Change
Bien qu’étant techniquement une variante de la grille de base, le Quick Change est devenu tout aussi populaire que cette dernière. Elle est particulièrement appréciée pour dynamiser un peu les Slow Blues, dont la grille peut sembler monotone quand on enchaîne l’accord I pendant plusieurs dizaines de secondes d’affilée.
Pour transformer une grille Slow Change en Quick Change, il suffit de remplacer le degré I de la seconde mesure par le degré V.
À noter : la dernière mesure est presque toujours jouée sur un degré V dans un Quick Change.
I | IV | I | I |
IV | IV | I | I |
V | IV | I | V |
La 7 | Ré 7 | La 7 | La 7 |
Ré 7 | Ré 7 | La 7 | La 7 |
Mi 7 | Ré 7 | La 7 | Mi 7 |
Un exemple très populaire de Quick Change est la grille de Sweet Home Chicago, un morceau de Robert Johnson dont voici une interprétation de John Mayer.
Grille Blues avec anatole
L’anatole est une cadence (comprenez par là un enchaînement de degré) très utilisée en Blues-Jazz pour dynamiser et jazzifier le turnaround.
Il s’agit de l’enchaînement des degrés I, VI, II et V. On le joue en général avec deux accords par mesure. Voici ce que donne un anatole placé sur le turnaround d’une grille Quick Change :
I | IV | I | I |
IV | IV | I | I |
V | IV | I – VI | II – V |
La 7 | Ré 7 | La 7 | La 7 |
Ré 7 | Ré 7 | La 7 | La 7 |
Mi 7 | Ré 7 | La 7 – Fa# 7 | Si 7 – Mi 7 |
Variations par style
Grille Blues-Jazz
Chez le guitariste Jazz, changer les accords d’une grille est un sport national ! Il n’existe donc pas une grille Blues-Jazz, mais des tonnes. L’idée est d’utiliser les substitutions, enrichissements, altérations, renversements et autres techniques typiques du Jazz pour improviser sur l’accompagnement de votre grille Blues.
Voici un exemple de grille Blues Jazzy, mais gardez bien en tête qu’il ne s’agit que d’une proposition (très basique) parmi une infinité !
I | IV | I | I alt |
IV | IV | I | VI |
II | V | I – VI | II – V alt |
La 7 | Ré 9 | La 7 | La 7#5 |
Ré 9 | Ré 9 | La 13 | Fa# 13 |
Si 13 | Mi 13 | La 7 – Fa# 7 | Si 7 – Mi 7#9 |
Vous noterez l’enchaînement de deux anatoles, un lent (un accord par mesure) suivi d’un rapide (deux accords par mesure) pour conclure et relancer la grille.
Grille Blues Rock’n’Roll
Lorsque les premiers rockeurs se sont emparés du Blues et l’ont boosté à la caféine pour le transformer en Rock’n’Roll, leur idée était claire : on simplifie (un peu) et on accélère (beaucoup) !
Cette philosophie est parfaitement illustrée avec la grille Rock’n’Roll, encore plus épurée que la grille Blues de base (si si, c’est possible) :
I | I | I | I |
IV | IV | I | I |
V | V | I | I |
La 7 | La 7 | La 7 | La 7 |
Ré 7 | Ré 7 | La 7 | La 7 |
Mi 7 | Mi 7 | La 7 | La 7 |
On peut retrouver cette grille entre autres dans l’incontournable morceau Johnny B. Goode de Chuck Berry.
Blues majeur et Blues mineur
Grille Blues majeur
Là encore, je ne m’attarderai pas sur le Blues majeur, puisque nous en parlons depuis le début de cet article ! Un Blues majeur est un Blues constitué d’accords septième de dominante. Ces derniers contiennent une tierce majeure, et transmettent leur sonorité majeure à l’ensemble du morceau.
Une grille Blues n’est jamais jouée entièrement avec des accords purement majeurs (cela donnerait un morceau Country), car sans la septième mineure des accords 7e, pas de dissonance, et donc pas de bluesy feeling !
Grille Blues mineur
Un Blues mineur, c’est simplement une grille Blues (n’importe quelle variante fonctionne) dont on a remplacé les accords 7e par des accords mineurs 7 :
I m7 | I m7 | I m7 | I m7 |
IV m7 | IV m7 | I m7 | I m7 |
V m7 | IV m7 | I m7 | I m7 |
La m7 | La m7 | La m7 | La m7 |
Ré m7 | Ré m7 | La m7 | La m7 |
Mi m7 | Ré m7 | La m7 | La m7 |
Un petit exemple de Blues mineur ? Allez jeter une oreille à Blue Jean Blues de ZZ Top !
Les principales tonalités de grille Blues
Le Blues se joue dans n’importe quelle tonalité. Toutefois, on retrouve fréquemment certaines grilles Blues à la guitare, notamment les grilles en tonalité de Mi et de La.
Grille Blues en Mi et en La
Pourquoi les grilles Blues en tona de Mi et de La sont-elles si privilégiées chez les gratteux ? Parce qu’elles permettent de jouer toute une grille Blues en accords ouverts faciles à positionner. Idéal quand on ne maîtrise pas les barrés, ou qu’on veut se simplifier la vie !
Tonalité de La :
- Degré I : La 7
- Degré IV : Ré 7
- Degré V : Mi 7
Tonalité de Mi :
- Degré I : Mi 7
- Degré IV : La 7
- Degré V : Si 7
Encore plus intéressant : ces tonalités permettent d’exploiter au maximum les cordes basses de la guitare (Mi, La et Ré) à vide. Cela donne la possibilité de marquer les degrés en jouant une basse constante (à la noire ou en shuffle) au pouce tout en improvisant sur les cordes aiguës, à la manière du Delta Blues. Voici un exemple parlant : Love in vain de Robert Johnson, joué par Eric Clapton.
Grille Blues en Si bémol
Il est de bon ton, sans mauvais jeu de mots, de savoir jouer une grille Blues en Si bémol si vous souhaitez participer un jour à des jams Blues. C’est une tonalité très courante lorsque vous partagez la scène avec des cuivres (trompette, saxophone, etc.), ce qui arrive fréquemment sur des morceaux de Chicago Blues.
Jouer une grille Blues : en accords, en arpèges ou en riffs ?
Pourquoi choisir ? Les trois fonctionnent très bien ! Une fois que vous avez compris le décalage des degrés, il vous suffit de transposer votre accord, votre riff ou votre arpège du degré I d’autant de cases que nécessaire pour atterrir sur les degrés IV et V :
- Entre le degré I et le degré IV : 2,5 tons, soit 5 cases.
- Entre le degré I et le degré V : 3,5 tons, soit 7 cases.
L’important est de respecter la grille, peu importe la manière dont vous jouez vos degrés.
Vos questions
Comment lire une grille de Blues ?
Une grille Blues se lit comme toute grille d’accord : une case représente une mesure, et la lettre inscrite dans cette case indique l’accord à jouer, écrit en notation anglo-saxonne.
Voici par exemple à quoi ressemble une mesure de Do ci-contre.
Simple et efficace… Comme le Blues !
Bien entendu, comme tout morceau de guitare, un Blues peut également s’écrire et se lire sous forme de tablature, notamment quand le morceau est construit en riffs ou en arpèges.
Comment improviser une grille de Blues ?
Il existe de nombreuses façons d’improviser ! L’impro dans le style Blues démarre souvent par l’utilisation des gammes pentatoniques mineure, majeure et Blues.
Identifiez bien la grille, les changements d’accords et essayez de trouver les notes qui sonnent bien à chaque changement d’accord pour créer un solo qui a du sens harmoniquement et musicalement.
N’hésitez pas à chercher des plans Blues en ligne et à écouter beaucoup de Blues pour commencer à vous inspirer du style d’impro Blues.
Conclusion
Comprendre la structure d’une grille Blues et être capable de l’entendre sont une base indispensable pour bien jouer ce style, aussi bien en reprise qu’en improvisation. C’est un élément trop central dans ce style pour être laissé de côté.
Petit conseil : prenez le temps d’écouter différentes versions d’un même standard Blues avec la grille sous les yeux, pour apprendre à la reconnaître et vous inspirer différentes façons de l’interpréter.
Et bien sûr, n’hésitez pas à essayer toutes les grilles que je vous ai présentées dans cet article, et à me dire laquelle vous préférez !
Hello Adrien,
Je trouve super intéressant ces articles sur le Blues, bien documentés et bien expliqués qui devraient plaire aux amateurs du genre (dont je fais partie)
Une remarque mais qui n’est en aucun cas négative, au sujets de tous ces liens qui conduisent à d’autres articles, c’est bien, et ce n’est pas bien…
parce-que si on n’est pas vigilent, on est vite « parti ailleurs », un peu comme quand on papillonne sur le Web.
Le bon côté des choses c’est que ça perme de faire des « rencontre » d’articles qu’on aurait zappé…😘👍🎸